Récits de prestations


Note préalable : Les récits qui suivent ont été rédigés à partir de cas réels. Cependant, certains éléments ont été simplifiés ou légèrement modifiés pour faciliter la présentation du processus de prestation et/ou garantir l’anonymat des personnes. Les prénoms sont, par ailleurs, fictifs.


Ouvrir de nouvelles portes

Nous recevons un mandat par jugement nous confiant la mission d’encadrer la prestation d’intérêt général de 85 h de Mohamed (prénom d’emprunt), un jeune homme de 18 ans, lorsque nous le rencontrons pour la première fois. La décision judiciaire vient clôturer un parcours qui a commencé trois ans plus tôt. Les faits sont nombreux et graves puisqu’ils concernent de multiples braquages et vols avec violence.

 

Dans son parcours, diverses décisions ont été prises à l’égard de Mohamed, dont un suivi intensif en famille assuré par la SAMIO et deux placements de longue durée en IPPJ. Le dernier placement semble avoir eu un impact positif sur Mohamed.

 

Lorsque nous rencontrons Mohamed avec sa maman lors du premier entretien, c’est un jeune qui se montre relativement confident. Il a manifestement déjà réfléchi à son parcours. Il parle de sa déscolarisation, de son investissement négatif dans le quartier où il traine et se fait petit à petit une réputation de caïd. Il parle également de son appât du gain qui l’entraîne à ne pas avoir de considération pour les victimes qu’il fait. Il nous dit aussi qu’il a changé, muri à cause du temps, mais surtout à cause de son placement où il a trouvé du soutien pour s’en sortir. Il exprime des regrets et souhaite se donner une nouvelle chance, de nouvelles perspectives. Il est aussi inquiet, car le parquet, réclame le dessaisissement de Mohamed, et a fait appel de la décision de la Juge qui n’a pas suivi cette réquisition.

 

Au fil des entretiens, il nous faudra tempérer « l’état d’urgence » de Mohamed prêt à faire un peu n’importe quel type de tâches, pour recentrer la prestation sur la notion de service à la collectivité. Le choix de l’organisme a été important, Mohamed mettait du sens à réaliser les heures imposées dans une fonction relationnelle. Au vu des délits, nous avons hésité à le mettre dans de telles tâches, mais en nous appuyant sur les réflexions d’équipe et les arguments de Mohamed, nous avons opté pour un appui au service d’ergonomie d’une maison de repos.

 

La prestation s’est inscrite dans la durée puisque le jeune se rendait sur son lieu de prestation à raison de 10 heures par semaine, cela pour respecter et rendre compatible la prestation avec l’investissement de Mohamed dans une formation en gestion. Au cours des deux mois de prestation, Mohamed a créé des liens positifs avec les personnes âgées et aussi avec les membres de l’équipe d’ergonomie. Il est décrit par le responsable comme attentif aux autres, respectueux ; des commentaires contrastants avec la négation d’autrui dont attestaient les faits.

 

Habituellement, les prestations ne se réalisent pas dans les quartiers où vivent les jeunes. La disponibilité, parfois limitée, du réseau d’organismes collaborant à la mission de prestation nous a fait déroger à ce principe. Dans la situation de Mohamed, cela lui a permis de s’ouvrir à une réalité de son quartier insoupçonnée : il ignorait totalement qu’une maison de repos se situait là, lui qui pensait connaître par cœur son lieu de vie. Au terme des 85 heures, la maman n’était pas totalement rassurée, d’une part parce que la décision d’appel n’avait pas encore été prononcée et, d’autre part, parce que bien qu’ayant confiance en Mohamed, seul le temps viendrait confirmer la réelle volonté de changement de son fils. Elle reconnaissait cependant l’autonomie et la manière responsable dont Mohamed avait géré cela.


Panacée ou pas assez?

Soleïman (prénom d’emprunt) est invité à se présenter au Radian dans le cadre d’une prestation d’intérêt général de 30 heures imposée sur ordonnance à la suite d’un vol de GSM en bande avec violence. Soleïman est âgé de 14 ans lorsque nous le rencontrons pour la première fois. Quoique peu loquace, Soleïman se montra positif, respectueux et collaborant dès le premier entretien. Il expliqua ne pas avoir participé au vol qui lui était reproché même s’il concéda y avoir assisté sans intervenir. Il découvre alors la notion de corréité.

 

Soleïman se montra collaborant, ce qui a permis de trouver aisément un organisme de prestation. Il témoigna d’un intérêt tout particulier pour le secteur de l’animation. Lui reconnaissant des habiletés relationnelles et sachant que l’animation est son domaine d’étude actuel, nous avons pensé pertinent de suivre l’intérêt du jeune. Nous lui avons donc proposé l’opportunité de découvrir le métier d’animateur dans une école des devoirs et d’animations. Il y assisterait les animatrices dans leur travail quotidien au contact d’enfants âgés de 6 à 12 ans. Soleïman fut très satisfait de ce choix.

 

Malgré son jeune âge, Soleïman effectua une excellente prestation. Les responsables soulignèrent la qualité de sa présence, sa sensibilité relationnelle, son sérieux et son implication. Le contact avec les enfants fut tout autant apprécié. Au terme de sa prestation, les animatrices et les enfants organisèrent une fête pour son départ. Il reçut des dizaines de dessins d’enfants accompagnés de petits mots affectueux.

 

Au lendemain de son dernier jour de prestation, Soleïman fut, une nouvelle fois, interpelé et mis à disposition pour des faits de vol avec violence. Il fut placé sur-le-champ. Il ne put, dès lors, assister à l’évaluation en présence des responsables de l’organisme auxquelles j’expliquai l’absence du jeune par une indisponibilité imprévue sans leur donner plus de détails. Elles me remirent un courrier destiné au jeune dans lequel elles lui disaient combien elles avaient été heureuses de l’accueillir au sein de leur association. Elles me confièrent leur espoir que cette lettre puisse, ne serait-ce qu’une seule fois, servir de bouée de sauvetage si le jeune venait à douter de sa valeur personnelle ou professionnelle.

 

Selon Soleïman, la prestation lui a permis de renforcer son choix d’étude et son implication. Par ailleurs, il dit se sentir plus sûr de lui. Lorsque nous lui demandons ce qui, selon lui, l’a amené à commettre le vol avec violence survenu à la suite de la prestation, il explique y avoir été invité et ne pas être parvenu à refuser. « Je n’avais pas envie que l’on me prenne pour un nul ».

 

De notre point de vue, Soleïman dispose de nombreuses qualités et pourrait se construire un avenir constructif et paisible. Sa délinquance nous semble être la conséquence d’une quête de reconnaissance sociale indispensable à sa construction identitaire. Il paraît donc essentiel qu’il trouve une voie plus constructive pour obtenir cette même reconnaissance et s’extraire de la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui.