Récits de médiations


Note préalable : Les récits qui suivent ont été rédigés à partir de cas réels. Cependant, certains éléments ont été simplifiés ou légèrement modifiés pour faciliter la présentation du processus de médiation et/ou garantir l’anonymat des personnes. Les prénoms sont, par ailleurs, fictifs.


Je ne risque rien si je parle ?

Auteur : un jeune de 16 ans

Fait : coups et blessures pour faciliter le vol

Victime : proche voisin du jeune

Mandat : Juge de la Jeunesse

Issue : rencontre et accord

Mots clés : Traumatisme — relations de voisinage — apaisement

 

La médiation qui nous est confiée concerne des faits graves. Un soir, alors qu’il fait noir dehors, le jeune Rachid (prénom d’emprunt) et un complice se présentent au domicile de Monsieur B.. Ils se font ouvrir la porte sous un prétexte fallacieux. Ils mettent Monsieur B. à genoux, l’empêchent de crier et lui donnent des coups au moyen d’une batte de base-ball et de la crosse d’un revolver. Au cours des événements, Monsieur B. parvient à tirer la cagoule d’un des jeunes et reconnaît Rachid, un proche voisin. Monsieur B. saigne énormément. Il est emmené à l’hôpital.

 

Immédiatement après les faits, Rachid nie toute responsabilité dans ce qui s’est passé. Monsieur B. ne souhaite pas déposer plainte, de peur de représailles. Après un placement en IPPJ dont le bilan est positif, Rachid reconnaît les faits. Le juge lui propose de participer à une médiation.

 

Nous recevons Rachid et son père. Il souhaite rencontrer la victime pour s’excuser et lui parler. Une semaine plus tard, nous recevons Monsieur B.. La première question qu’il nous pose c’est : « Je ne risque rien si je parle ? » Nous insistons sur la confidentialité des échanges en médiation. Nous sommes huit mois après les faits. Il est toujours traumatisé par ce qui s’est passé. Il fait de nombreux cauchemars et repense souvent à l’agression et l’associe à une scène de violence dans un film américain. Il nous parle de sa peur, du sang et de son incompréhension. À l’issue de ce premier rendez-vous, il nous dira que cela lui a fait du bien de parler.

Nous revoyons Monsieur B. qui ne souhaite pas rencontrer Rachid, mais il souhaite lui poser des questions par notre intermédiaire. Ses questions sont les suivantes : « Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi à deux ? » De plus, il souhaite deux choses : que Rachid ne recommence plus et que s’ils sont amenés à se croiser, Rachid l’évite.

 

Au cours d’un entretien avec Rachid, nous lui transmettons les questions et les demandes de Monsieur B. Rachid souhaite y répondre par une lettre que nous recevrons un peu plus tard. Entretemps, nous fixerons plusieurs rendez-vous à Monsieur B. qui les reportera pour divers motifs. Lorsque nous rencontrons finalement Monsieur B., nous lui transmettons le contenu de la lettre. Il se dit fort touché par la forme que prend la réponse de Rachid. Il ne s’attendait pas à recevoir une lettre. Découvrant les réponses et la sincérité de Rachid, il nous dit en cours de lecture de la lettre « Je vais le rencontrer ! » La rencontre est planifiée deux semaines plus tard.

 

Quelques jours avant la rencontre, Monsieur B. nous téléphone pour nous demander s’il peut se faire accompagner de sa mère, vu que Rachid, étant mineur, sera accompagné. Nous n’y voyons aucune objection.

Le jour de la rencontre, ils arrivent tous avec une demi-heure d’avance !

 

Au premier contact visuel, Monsieur B. se lève et prend Rachid dans les bras en le pardonnant. La suite de la rencontre permet à chacun de parler de ce qui s’est passé. Monsieur B. et Rachid peuvent penser à l’avenir plus sereinement.


Une main tendue vers la réflexion

Qui : Deux jeunes de 17 ans.

Fait : Vol avec violence.

Victime : Jeune fille de 15 ans.

Mandat : Juge.

Issue : Médiation non aboutie.

Mots clés : réflexions de l’un vers l’autre — victime prise en compte — auteur accepte de réfléchir et de répondre aux questions posées par la victime.

 

Durant le mois de février 2014, le jeune Julien (prénom d’emprunt), âgé de 17 ans, avec l’aide d’un complice s’attaque à une jeune fille Valentine (prénom d’emprunt), âgée de 15 ans, afin de s’emparer de son GSM. Dans un premier temps, ils la suivent, puis arrivés près d’une cour avec des garages, ils la poussent et armés d’un couteau qu’ils mettent sur sa gorge, ils lui prennent son GSM. C’est Julien, l’instigateur et c’est lui qui brandira le couteau. Des témoins les appréhendent et ils se font immédiatement arrêter.

 

Julien sera placé à l’IPPJ de Fraipont et, à sa sortie, le juge lui proposera une médiation. Julien vient seul au premier entretien qui lui est proposé et il accepte le processus de médiation. Il reconnaît d’emblée son acte et il dit y avoir beaucoup réfléchi. Il parvient ainsi à se mettre à la place de la jeune fille et à entrevoir les différentes conséquences qu’elle a pu subir. Il parle de peur, de traumatisme, de perte de confiance, de ne plus pouvoir marcher seule en rue et encore maintenant (soit 10 mois après), « cela ne doit pas être évident à vivre ». Puis, il dit également qu’il aimerait la rencontrer et lui dire qu’il regrette vraiment ce qu’il a fait. La maman de la victime téléphone pour nous dire qu’elle est très en colère, mais elle est satisfaite de savoir que la justice « se réveille ». Cependant, selon elle, il n’y a rien à faire avec ce jeune, les policiers (« très gentils ») lui ont parlé du jeune : délinquant, bandit, prison… D’ailleurs, sa fille refuse catégoriquement de revoir ce jeune.

 

Au fur et à mesure de l’entretien, la maman se calme et elle finit par se dire qu’elle aimerait faire comprendre à ce jeune le mal qu’il a fait à sa fille et à sa famille. Elle accepte d’y réfléchir avec sa fille et elle m’en informera. Après quelque temps, la maman nous téléphone pour nous dire qu’elle va nous envoyer une lettre qui reprendra toutes les conséquences subies par sa fille et sa famille. Elle me demande de lire la lettre au jeune, mais elle ne veut rien d’autre de sa part.

 

Le jeune Julien vient à un deuxième entretien avec son grand frère et nous leur apprenons qu’il n’y aura pas de rencontre avec la victime. Nous demandons à Julien s’il est d’accord que nous lui lisions la lettre, malgré le fait qu’il ne pourra pas y répondre. Il accepte. Après la lecture de cette lettre, Julien est sous le choc, il ne dit rien. Peu à peu, il va s’exprimer puis il dit être content d’avoir entendu la victime via la lettre : « j’entends que la maman me pousse à réfléchir à mes actes, c’est ce que je suis en train de faire depuis un moment. Cela me réconforte dans cette décision de continuer en ce sens ». Il conclut en nous demandant une copie de la lettre qu’il va montrer à ses parents et en discuter avec eux.


Parce que c'est toi

Auteur : Karim a 14 ans, il avait près de 12 ans à l’époque des faits.

Fait : Dans le cadre scolaire, suite à un différend, Karim a porté des coups à sa logopède et à son éducatrice

Victime : deux personnes physiques.

Mandat : Tribunal — jugement

Issue : aboutie

Mots-clés : contexte scolaire — lien préexistant entre l’auteur et la victime – médiation directe — échange utile pour les deux parties.

 

Karim (prénom d’emprunt) se voit proposer une médiation pour des faits de coups et blessures volontaires remontant à plus de 2 ans contre Mme A., logopède et Mme L., surveillante, toutes deux travaillant dans l’école primaire qu’il fréquentait à l’époque. Mme A. refuse la proposition de médiation dès le début de notre intervention. Mme L. accepte de nous recevoir pour un premier contact, mais préfère que cet entretien se fasse dans un lieu neutre, à savoir un salon de thé. Nous lui exposons les enjeux de la médiation. Elle demande à y réfléchir et reviendra vers nous.

 

Karim est d’accord avec la proposition même si celle-ci ne concerne plus qu’une victime, mais ne sait pas trop quoi proposer. Mme L. donne son accord quant au processus, mais avant de poursuivre plus avant, elle demande que Karim lui écrive une lettre dans laquelle il expliquerait ce qu’il est devenu afin qu’elle voie s’il est bien disposé à son égard. Nous lui remettons cette lettre quelque temps plus tard. Elle se dit prête à rencontrer Karim tout en justifiant sa démarche comme pouvant aider le jeune. Elle dit en effet n’avoir pas d’attente de sa part, les faits étant anciens et mis sur le compte d’un enfant qui n’allait pas bien, psychologiquement parlant, et qui était placé depuis son enfance.

 

Le jour de la rencontre, Mme L. arrive plus d’une demi-heure en avance. Karim, par contre, se fait attendre. Nous n’arrivons pas à le joindre malgré nos tentatives. Il arrive finalement bien après l’heure du rendez-vous au moment où Mme L. est déjà dans l’ascenseur. Cela se joue sur le fil.

 

La rencontre a lieu. Au début, Karim est sur la défensive. Il est placé face à Mme L., mais ne la regarde pas. Petit à petit, grâce à la patience de Mme L. qui s’adresse à lui avec bienveillance (elle lui rappelle qu’elle l’aimait bien), la glace se rompt et ils se parlent enfin.

 

Ils se rappellent de bons souvenirs et reconnaissent qu’ils s’entendaient bien. Mme L. lui dit combien elle a été déçue et triste de son geste. Elle n’a pas compris pourquoi il s’était attaqué à elle. Karim lui explique qu’il était très énervé ce jour-là notamment par le fait qu’elle n’avait pas tenu une promesse. Mme L. ne voit pas de quoi il parle. Il lui explique qu’elle lui avait dit qu’elle l’accueillerait durant un week-end et ne l’a pas fait. Mme L. se souvient de cette promesse et regrette qu’il n’ait pas compris que ce n’était pas possible à ce moment-là. Elle admet qu’elle aurait dû lui expliquer les raisons. Il regrette son geste. Il s’est laissé submerger par la colère, ce qui l’a amené à la frapper alors qu’elle tentait de le calmer.

 

La conversation glisse alors sur la situation actuelle de Karim. Il explique où il vit désormais, ses projets d’avenir. Mme L. le félicite et lui dit même qu’il est devenu un beau garçon. L’entretien se termine sur de bons sentiments et l’envie de Karim de passer à l’école lui dire bonjour. Aucun accord écrit n’a été établi : il n’y avait pas d’engagement pour l’avenir ou de réparation matérielle à prévoir. La rencontre a donc été suffisante pour les parties en termes d’échange utile. Karim et Mme L. s’en retournent apaisés, la page est tournée.